NORA MALORIE est une blogueuse, sorcière et autrice en herbe qui s’intéresse particulièrement aux contes et à la littérature jeunesse. Sur son blog, « La Voix des Sorcières« , elle parle de ses projets d’écriture, de l’art de vivre celtique et de culture littéraire. Sur Wattpad, elle a également écrit un recueil de conte d’inspiration celtique : Les Contes des Saisons celtes. Dans la vraie vie, elle fait des études de Lettres pour devenir professeur, et a réalisé un master de recherche en se spécialisant en littérature médiévale.
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Quand j’ai étudié l’histoire de Mélusine par l’intermédiaire d’un roman médiéval du XIVe siècle dans le cadre de mon mémoire, j’ai tout de suite pensé qu’aucune autre histoire ne méritait mieux de commencer par « il était une fois ». Pourtant, le terme de « conte » n’apparaît que peu souvent dans le roman de Jean d’Arras, Mélusine ou la Noble histoire de Lusignan. À la place, l’auteur use d’une expression, extrêmement redondante tout au long de l’œuvre, pour désigner la légende de Mélusine : « Ordist l’histoire ». Histoire, ce terme flottant et ambigu qui qualifie à la fois un récit raconté et la grande Histoire, définit parfaitement la légende de Mélusine, qui se perd dans un temps mythologique tout en gardant un lien très étroit avec un noble lignage français du Moyen Âge. Cette famille, c’est celle des Lusignan, dont la branche principale régnait sur le Poitou et la branche secondaire sur le royaume de Chypre. Explorer la légende de Mélusine, c’est donc s’autoriser à croire qu’au commencement de tout, il y avait les fées.
La première fée véritablement nommée en littérature française.
En littérature médiévale, les fées sont des personnages récurrents : on les rencontre notamment dans les Lais de Marie de France (XIIe siècle), qui, pour faire court, sont les ancêtres des contes féeriques. Mais avant le roman de Jean d’Arras, elles n’étaient pas nommées. Ce nom, Mélusine, étymologiquement « la mère de Lusignan », est le premier attribué à une fée. Plus qu’un nom, il est utilisé pour désigner la catégorie des fées mélusiniennes, autrement dit les fées qui vivent dans le monde des mortels. Cette catégorie s’oppose à celle des fées morganienne, qui désigne les fées qui emportent des mortels dans l’Autre Monde. La légende de la dame de Lusignan s’ancre donc profondément dans notre culture française.
L’Histoire d’une fée, d’un pacte et d’un lignage.
Tout commence lorsque le roi Elinas, seigneur d’Albanie, rencontre une dame d’une grande beauté issue de l’Autre Monde. Cette dame, c’est la fée Présine. Elle accepte de l’épouser, à condition, qu’il ne cherche jamais à la voir lors de ses couches. Ils eurent ainsi trois filles : Mélusine, Mélior et Palestine. Mais le roi Elinas transgresse l’interdiction et Présine s’exile avec ses enfants. Mais Mélusine veut se venger de leur père, qui les a obligées à vivre en paria. Elle entraîne ses sœurs dans une aventure qui consiste à enfermer Elinas dans la montagne de Northumberland. Il ne sortira jamais de sa prison. Quand Présine se rend compte de ce qu’ont fait ses filles, elle les maudit toutes les trois : Mélusine est alors condamné à se transformer en demi-serpent géant chaque samedi. Si elle veut rompre la malédiction et espérer avoir une vie de mortelle, elle devra épouser un homme et se mettre à son service et, tant que cet homme ne cherchera pas à la voir le samedi, elle pourra vivre heureuse.
Bien des années plus tard, le jeune Raymondin, écuyer auprès du comte de Poitier, son oncle, part à la chasse et se confronte à un extraordinaire sanglier. Lors du combat, il tue accidentellement son parent et, pour échapper à un châtiment funeste, Raymondin se perd dans la forêt. C’est là que, près d’une fontaine, il rencontre Mélusine, qui lui propose un marché : si elle l’épouse, elle l’aidera à sortir vivant de sa situation et fera de lui un puissant et riche seigneur. Une seule condition doit être absolument respectée : il ne devra jamais tenter de la voir le samedi. Ainsi Raymondin retourne au château et annonce ses fiançailles. Officiellement, le comte de Poitier est mort lors d’une lutte sans merci avec le sanglier, lutte à laquelle Raymondin n’a pas assisté.
Grâce à la ruse de Mélusine, Raymondin obtient une terre importante sur laquelle sera bâti la cité de Lusignan. Mélusine, pour la construction de ce château, fait appel à des êtres merveilleux pour accélérer le processus. Mélusine et lui donneront naissance à dix fils : Urien, Eudes, Guy, Antoine, Renaud, Geoffroy la Grande Dent, Fromont, Horrible, Thierry et Raymonnet. Après une périlleuse croisade, Urien et Guy deviennent respectivement roi de Chypre et d’Arménie. Eudes, quant à lui, fait un mariage stratégique qui le fera Comte de la Marche. Antoine et Renaud viennent en aide au duché de Luxembourg et au royaume de Bohême, devenant alors respectivement leur seigneur grâce à leurs mariages avec les héritières. Geoffroy la Grande Dent, le fils muni d’une dent de sanglier qui a le plus hérité de l’ascendance merveilleuse, fait régner l’ordre sur les terres du Poitou et est le seul à pouvoir combattre des géants.
Fromont, quant à lui, devient moine dans l’abbaye de Maillezais. La dynastie des Lusignan prospère.
La transgression du pacte.
Mais un événement fait tout basculer : Geoffroy la Grande Dent, qui ne supporte pas l’idée que Fromont devienne moine, se rend à Maillezais où il tue son frère et tous les autres habitants de l’abbaye dans un incendie. Au même moment, Raymondin est manipulé par son frère pour que celui-ci espionne Mélusine un samedi, jour où il n’est pas censé la voir. Si Mélusine s’en aperçoit, l’incident n’a pas de conséquence, car le regret de son époux est extrême. Mais après l’accident de Maillezais et la mort de Fromont, Raymondin accuse Mélusine devant témoin, déclarant que cela est arrivé à cause de l’ascendance merveilleuse dont Geoffroy fait l’objet. Cette fois, le pacte est rompu. Mélusine, désespérée, se transforme définitivement en serpent géant et disparaît par la fenêtre, condamné à l’immortalité.
Geoffroy et Raymondin se repentent. Brisé, Raymondin abandonne Lusignan pour se retirer dans l’abbaye de Montserrat, où il finit ses jours. Quant à Geoffroy, il part pour la montagne de Northumberland, où il trouve le tombeau du roi Elinas. Après avoir découvert et compris ses origines, il rentre à Lusignan où il découvre être à l’origine de la séparation de ses parents. Il se rend alors à Rome pour se repentir de ses crimes et rend visite à son père. Il hérite de Lusignan et devient le nouveau seigneur du Poitou, mais aussi un autre homme, dépourvue de la férocité qui l’animait autrefois.
Quand la légende rejoint l’Histoire.
Bien, des siècles plus tard, Jean de Berry, frère du roi Charles V, est envoyé pour reprendre le Poitou, alors occupé par les Anglais lors de la Guerre de Cent ans. Le siège est alors particulièrement long. Mais le capitaine Cresswell, qui occupe la forteresse, résiste. Mais une nuit, il reçoit une visite inattendue : il est réveillé par un serpent géant, qui se transforme soudain en femme. Il s’agit de Mélusine, qui le fixe avec insistance, lui signalant qu’il est temps pour lui de rendre Lusignan à Jean de Berry, car le château ne peut être gouverné plus de trente ans par un seigneur étranger au lignage de Lusignan. Or, le frère du roi Charles V revendique son ascendance à ce lignage. C’est ainsi que les terres du Poitou, pendant la guerre de Cent ans, deviennent de nouveau françaises. Ainsi Mélusine, plus que la fée Vivianne, plus que la fée Morgane, est à mes yeux la plus grande de toutes les fées, marquant la frontière invisible entre notre monde mortel et celui de l’Autre Monde. Son histoire est pourtant peu connue aujourd’hui, alors qu’elle marque profondément le folklore français. Les légendes disent qu’elle est présente dans toutes les région de France : elle occupe les ruines des châteaux et son cri de serpent continue de résonner sur les murs décrépis. Il est donc de notre devoir de veiller à ce que son histoire ne soit jamais oubliée.
Si la légende de Mélusine vous intéresse, je vous invite à vous procurer Mélusine ou la Noble histoire de Lusignan, publié chez la Librairie générale française (livre de poche) dans la collection « Lettres gothiques ». Il s’agit d’une édition bilingue dans laquelle se trouve sur la page de gauche le texte en moyen français et sur la page de droite le texte traduit en français moderne.
Merci pour cet article très intéressant.
Avec plaisir !
Un article super intéressant je connaissais juste vaguement le sujet
De même !
J’adore les contes et légendes et les fées
que cela soit dans des BD ou dans des livres
mélusine me passionne et je n’avais pas l’ouvrage dont tu parles !
Je suis ravie que tu aies appris quelque chose !
La célèbre mélusine !!
merci pour ton article
bisous
Annso
https://www.annsom-blog.com/
Avec plaisir, merci !
Je ne suis pas spécialement fan de littérature médiévale, mais je trouve cet article super interessant. Merci pour cet intermède instructif 😉
Avec plaisir !
[…] Clamor Serpentis se veut donc une réécriture de la légende de Mélusine. Celle-ci a principalement été portée au Moyen Âge par Jean d’Arras, au XIV e siècle. Je me suis fondée sur son roman, Mélusine ou la Noble histoire de Lusignan, pour élaborer mon projet. Concernant ce roman, je vous invite à aller sur le blog de Tigris Leonum, où j’ai écrit un article invité dessus : https://www.tigrisleonum.com/la-premiere-fee-nommee-de-la-litterature-francaise-melusine/ […]